8 – CONTE

L’ERMITE DU COIN-FENDU ET 

LA SERVANTE DU CURÉ D’IVORS

En ce temps là, il existait au Coin-Fendu, un ermitage et dans cet ermitage vivait un ermite, sous la protection de son Altesse Royale Mgr le Duc d’Orléans, apanagiste de la forêt de Villers-Cotterêts. 

Cet ermite était un Saint Homme, bien confit en dévotion. Il avait accompli plusieurs pèlerinages, entre autres, celui de Rome. Il avait prié sur les tombeaux des Saints Apôtres Pierre et Paul et avait été admis à baiser la mule du Pape. 

Aussi les habitants des pays environnants étaient-ils fiers de leur ermite et ils le choyaient comme il convient à un aussi dévot et utile personnage. 

De la Toussaint à l’époque de la grande mortalité sur les porcs gras, c’était à qui apporterait au bon ermite le boudin le plus appétissant, les meilleures saucisses et les plus grasses andouilles toutes bonnes choses créées par Dieu pour le plus grand bonheur des ermites et des moines. 

Mais n’allez pas croire que le bon solitaire acceptait gratuitement ces dons. Non. Au petit garçon qui apportait la provision, il offrait un sifflet qu’il avait fait lui même avec une branche d’aune de la Forêt. Si c’était une jeune fille c’était une médaille ou un chapelet béni par le Saint Père. Aux pères et aux mères, il donnait d’excellents conseils. 

Notre bon religieux était un ami du curé d’Ivors de l’époque. C’était à Ivors qu’il assistait aux divins offices et c’était merveille de le voir, le dimanche, porter pieusement la croix, en tête de la procession, pour la plus grande édification des fidèles. Le frère Pacôme, (ah ! je ne vous avais pas encore fait connaître son nom) ne se permettait qu’une seule distraction en dehors de ses pratiques de dévotion, c’était sa basse-cour où il élevait nombre de poules et son écurie où se prélassait un âne avec lequel le bon ermite faisait ses courses en forêt à la recherche des simples. 

Les œufs qu’il récoltait étaient réservés aux bons moines de Bourgfontaine. 

Tous les jeudis, le frère Pacôme sellait son âne et partait porter ses œufs au couvent. Pour s’y rendre, il passait à Ivors et ne manquait jamais de dire un petit bonjour à son ami M. le curé d’Ivors, et à sa servante Madelon, encore bien conservée malgré ses 45 ans. 

Un beau jeudi de printemps, notre bon ermite passe comme d’habitude chez M.le curé d’Ivors qui l’invite à dîner. Invitation acceptée. 

Pendant le dîner, frugal il s’entend, Madelon qui avait l’esprit malicieux, s’avisa de prendre tous les œufs du frère Pacôme, et de les faire cuire durs. Et son forfait accompli, elle remit les œufs dans le panier. 

L’ermite qui ne se doute de rien, porte ses œufs au couvent où le frère Prieur s’aperçoit de la supercherie Frère Pacôme se douta bien que l’auteur de la plaisanterie n’était autre que Madelon. 

Il ne dit rien, méditant en son âme sa revanche. 

A quelque temps de là, il se retourne à Bourgfontaine avec son âne et ses œufs, en passant par Ivors. Il trouve Madelon en grand émoi, M. le curé recevait ses confrères en conférence et était avec eux à l’Eglise. Lapins, poulets et gigots cuisaient à qui mieux mieux sous la haute surveillance de Madelon. Le bon ermite voulut se retirer, mais Madelon à force d’instances, l’obligea à rester, lui représentant combien M. le curé serait contrarié s’il s’en allait. 

Frère Pacôme se décida. 

Je trouverai, se disait-il en lui-même, une occasion favorable pour me venger. Cette occasion se présenta. 

La servante eut besoin de descendre à la cave pour percer un tonneau. Frère Pacôme s’offrit pour l’aider, il prit en main la fontaine, au moment suprême, il prétexta l’avoir oubliée et dit à Madelon de mettre les pouces sur le trou pendant qu’il irait la chercher. 

Madelon n’y vit pas malice, elle attendit et attendit longtemps. Elle se décida à appeler frère Pacôme à son secours lui criant que le vin s’enfuyait. Mais frère Pacôme ne vint point et pour cause. 

Heureusement que M. le curé qui avait terminé sa conférence, entendit les cris désespérés de Madelon et vint la délivrer. On chercha partout frère Pacôme, on ne le trouva point. Il avait disparu, mais avec lui aussi, avaient disparu, lapins, poulets, gigots, qu’il avait emportée dans sa fuite. 

Ce que les convives firent la grimace et les imprécations que lancèrent nos dignes curés contre l’ermite, je vous en laisse juges. 

On ne mourût cependant pas de faim. Sur la table de la cuisine on trouva un panier d’œufs durs et à l’aide de quelques bouteilles de vins généreux, la gaieté revint parmi les convives. 

Madelon comprit. Elle dut avouer sa faute et fut vertement réprimandée par son maître. 

Le lendemain, ces mêmes convives reçurent dans la matinée, une invitation de Frère Pacôme à venir dîner ce jour-là à l’ermitage du Coin-Fendu. Tous s’y rendirent et retrouvèrent avec plaisir les mets de la veille, ils les mangèrent avec appétit, arrosés d’un petit vin fourni par l’ermite. Au dessert on rit de la joyeuse aventure, excepté Madelon qui ne rit pas, car on ne l’avait pas invitée. 

Elle eut longtemps mal aux pouces, tant elle les avaient tenus longtemps étendus et contractés pour empêcher le vin de s’enfuir. 

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